Quelques fragments du Portugal
En 2015, j'ai eu le plaisir de passer quelques jours au Portugal. J'avais initialement prévu de publier un compte-rendu complet, mais le temps passe, l'eau coule sous les ponts, les souvenirs s'effacent… Voici quelques fragments de textes jamais terminés et de photos jamais publiées.
Déambulations sur l'axe des Z
Que ce soit à Porto ou Lisbonne, les plans sont trompeurs. Rejoindre un point qui, à vol d'oiseau, ne se trouve qu'à quelques mètres nécessitera souvent d'emprunter un méandre tout en pavés de ruelles escarpées et d'escalier abrupts. Ici, les mollets chauffent et on se déplace beaucoup sur l'axe des Z.
Faune
À Porto, il y a autant de mouettes que de pigeons. Si les pigeons sont silencieux, ce n'est pas le cas des mouettes qui braillent à n'en plus finir.
Autochtones
Les portugais sont généralement avenants et prêts à dépanner. Entre l'anglais, le français ou l'espagnol, on arrive toujours à échanger deux ou trois mots.
La Francesinha
L'une des spécialités locale est la Francesinha, une espèce de croque-monsieur survolté. Survolté parce que, à côté de son homologue portugais, le plus indigeste des croque-monsieur fait figure de salade verte.
La Francesinha se présente sous la forme de deux tranches de pain entourant un mille-feuille de viande, poulet, saucisse, etc. le tout baignant dans un litre de sauce dont la recette est tenue secrète mais qui me semble contenir de la bière ou du porto. En portugais, « Francesinha » signifie « petite française », information que je vous laisse interpréter à votre guise.
Pour déguster une Francesinha, procédez comme suit :
- rendez-vous dans n'importe quel snac ou gargotte de la ville ;
- commandez une Francesinha, demandez la « super » si vous êtes amateur de sensation fortes ;
- tâchez de ne pas vous évanouir à la vue de l'espèce de tas indistinct baignant dans une sauce à l'aspect douteux que l'on vous apporte ;
- dégustez ledit plat ;
- allongez vous sur le sol en pleurant des larmes constituées de calories solidifiées ;
- roulez-vous en boule gémissante et attendez la mort en méditant sur l'existence et vos choix de vie.
Vous l'aurez compris, la Francesinha est un plat peu digeste, parfait pour ceux qui n'ont pas les moyens de faire plus d'un repas par semaine.
Nourriture
Bonne cuisine. Honnête et sans prétentions (dans le bon sens du terme). Une fois, par curiosité, j'ai commandé un menu « deal with it ». C'était une boîte de sardine à ouvrir moi même.
Ambiance
Être un étranger en vacances vous rend sensible à l'ambiance du lieu et aux différences culturelles. À Porto de nombreux bâtiments semblent un peu décrépits ou à l'abandon, et pourtant, il ne se dégage pas des rues l'atmosphère de misère résignée qu'on peut ressentir dans ce genre d'environnement.
Art & Culture
On trouve dans les rues de très nombreuses librairies. Et sur les murs de la ville, des graffitis. Beaucoup de graffitis. De beaux graffitis. On aurait presque envie d'en faire une collection.
Le porto
Miam !
La librairie Lello
La visite de la fameuse librairie Lello restera pour moi l'une des expériences les plus marquantes de ce voyage à Porto.
Autoproclamée la « plus belle du monde », la librairie est assurément une merveille architecturale. Située dans un magnifique bâtiment à la façade néo-gothique, elle expose son catalogue d'ouvrages hétéroclites sur de nombreux rayons de bois vernis. Au plafond, entouré de plâtre ouvragé imitant le bois à s'y méprendre, un gigantesque vitrail illustre la devise de la librairie : « Decus in labore », la dignité dans le travail. Et surtout, au centre, reliant les deux étages, cet escalier, monumental, unique, tout de bois sculpté et de rouge carmin.
On aimerait pouvoir y rester des heures, dans cette belle librairie. Y flâner, y butiner, y feuilleter rapidement quelques ouvrages sur l'architecture portugaise ou la musique rock des années 60, y consulter minutieusement les 4èmes de couvertures, y arpenter lentement les couloirs exigus en laissant ses doigts courir sur les tranches des livres tout en écoutant le bois craquer.
Mais on peut difficilement.
Car si la librairie Lello a des allures des cathédrales, le pèlerin qui y pénètre y trouvera une agitation touristique quasi-orgiaque qui rappellera plus une bacchanale romaine qu'un monastère trappiste.
Il y a quelque temps, on a fait courir le bruit que J.K. Rowling, qui a passé deux ans au Portugal, aurait été inspirée par le lieu lors de sa rédaction d'Harry Potter. La librairie a d'ailleurs été utilisée comme décor dans certaines scènes des films. La fréquentation déjà importante a explosé depuis, et la librairie est devenue une attraction de fête foraine.
Pour y pénétrer, il vous faudra faire la queue devant un guichet et payer votre entrée 3€ (qui vous sera remboursée si vous achetez un livre), puis re-faire la queue devant l'entrée. À l'intérieur, c'est la foire d'empoigne. Loin d'arborer le calme et la dignité qui siéraient à un tel lieu, le touriste moyen bouscule, braille, flashe à tout-va et rivalise de brutalité pour arriver à prendre un minable selfie sur le bel escalier. Dans un coin, les livres ont carrément laissé la place à une boutique souvenir. Le libraire devenu porcher contemple l'air dépité s'ébattre les gorets dans une absence totale de décence.
Se trouver dans la plus belle librairie du monde et ne pas pouvoir en profiter dignement représente une expérience intensément frustrante.
Expérience d'autant plus troublante qu'il est difficile de ne pas se transformer soi-même en cochon. Car visiter un monument en se plaignant qu'il y a trop de touristes, c'est comme être coincé dans les bouchons en se plaignant qu'il y a trop de voiture : tu fais parti du problème. On peu essayer de se dire qu'on est différent, qu'on est moins débile, plus digne, difficile de résister à l'envie de sortir son appareil pour capturer quelques clichés du lieu (« au moins, mes photos seront plus belles », qu'il se dit). Sans se rouler complètement dans la fange touristique, on en ressort quand même avec quelques tâches de boue.
Au final, pour apprécier cette visite, il faut prendre la librairie comme elle est : un lieu superbe devenu musée du tourisme de masse.
La Capela do Senhor da Pedra
Sur une plage, un lieu insolite, poétiquement absurde. Perchée au sommet de quelques rochers battus par les vague, une improbable chapelle. Vivant à quelques mètres de la Méditerrannée, je me laisse facilement impressionner par les rouleaux de l'Atlantique.
Pour rejoindre la chapelle, on peut louer des vélos du centre de Porto, et pédaler vaillamment pendant une distance que j'évaluerais à « très mal aux fesses ».
Un rayon de Soleil finit par vaincre les nuages. Quelques courageux se baignent. Je profite de la poésie du lieu.
Les fesses
Puisqu'on parle de fesses… Les portugais ont semble-t-il l'esprit polisson. Quelques sculptures en témoignent.
L'avocat
Un grand moment de ce voyage sera celui ou j'ai pu déguster un avocat. Honnêtement, je ne sais pas si je dois être émerveillé ou horrifié du fait que déguster un fruit puisse constituer un événement véritablement mémorable.
Tout a commencé de la manière la plus innocente. Désireux d'économiser quelques euros, nous avions décider d'acheter quelques denrées au marché local pour manger chez nous. C'est ainsi qu'un avocat à l'aspect tout à fait innocent, pour ne pas dire banal, s'est retrouvé dans notre panier à provisions.
Je n'attendais rien de particulier de cet avocat. Il se trouve que j'aime l'avocat, et que je prends toujours du plaisir à déguster un bon avocat bien mûr (d'ailleurs, si vous êtes sages, je vous donnerai ma recette du guacamole).
Mais à la première bouchée, j'ai compris qu'il se passait quelque chose. Parce que cet avocat, c'est le genre d'avocat qui vous donne l'impression que vous n'avez jamais mangé un avocat avant. C'est difficile à exprimer. C'est comme s'il avait un goût… simplement un goût d'avocat, mais qui vous fait comprendre que toute votre vie est une imposture, et que les avocats que vous avez pu déguster auparavant n'avaient pas vraiment de goût d'avocat.
Je ne vais pas vous raconter que j'ai vu la lumière et que des larmes de joie ont inondé mes joues. Je me suis simplement exclamé « p@!*ain, qu'il est bon cet avocat ! ». Il n'empêche que ce fruit était tellement bon que j'ai pris la peine d'écrire cinq paragraphes dessus. C'est quand même quelque chose, non ?
Le drame
Se lever aux aurores pour quitter le logement loué sur AirBnB et attraper le premier train. Laisser les clés sur la table et claquer la porte. Se souvenir que la porte de l'immeuble ferme aussi à clé. Se retrouver coincé dans le couloir. Appeler la propriétaire sans succès. Toquer à toutes les portes et (probablement) réveiller tout le monde.
Finir par déranger un voisin ronchon mais compatissant. S'excuser à profusion. Courir jusqu'à la gare. Attraper son train de justesse. Ouf.
En vrac
Assisterà un improbable spectacle de danse sur rideaux dans un restaurant. Déguster du Porto le long du Douro. Admirer le Soleil jouer avec les façades. Flâner le long des quais. Emprunter le chaotique petit tramway jaune. Défendre férocement son sandwich contre les pigeons. S'empiffrer de patisseries bien crémeuses. Avoir envie d'y retourner.