Comment lutter contre les mauvais payeurs ?
L'indépendant sera toujours confronté, tôt ou tard, au mauvais payeur. D'ailleurs, les forums sont remplis de sujets postés par des âmes en détresse s'interrogeant sur la marche à suivre pour récupérer leur argent durement gagné.
Voici comment bien gérer la chose.
Le mauvais payeur n'est pas celui qu'on croit
Contrairement à ce qu'on pense, il n'y a pas « les mauvais payeurs » d'un côté et « les bons payeurs » de l'autre. C'est à dire qu'il existe de nombreuses raisons pouvant faire qu'une facture n'est pas réglée en temps et en heure.
Malgré le fait que je ne travaille qu'avec des gens honnêtes et sérieux, il m'arrive très fréquemment de devoir gérer des problèmes de paiement. Même le client le plus intègre peut parfois s'emmêler dans sa compta et omettre de s'acquitter d'une facture ; que celui qui n'a jamais payé ses impôts en retard jette la première pierre.
Évidemment, il y a aussi les arnaqueurs, les voleurs, les escrocs sans scrupules qui ont élevé la mauvaise foi au rang d'art. Mais ces gens là sont peu nombreux et avec un peu d'expérience, on arrive à les repérer à l'avance ; la meilleure solution reste d'éviter de travailler avec ce genre d'énergumènes.
Éviter de tendre le bâton pour se faire battre
La meilleure façon de régler un problème, c'est de commencer par ne pas le rencontrer. La prévention sera donc notre meilleure arme.
Voici un exemple parmi des milliers de messages similaires trouvés sur des forums (les fautes sont d'origine).
Voilà j'ai refait le site à une société avec le statut Auto Entrepreneur.
Cette entreprise était l'un de premiers clients, donc je n'avais pas encore de modèle de contrat, conditions générales, et je ne faisait pas signer de devis...
Le client m'avais demandé de payer en plusieurs mensualité, ce que j'ai accepté.
En ce moment il y a 2 mensualités de retards, j'ai beau relancer, il ne veux pas payer pour le moment car "le site rapporte moins que la version précédente".
Première erreur de débutant : travailler sans contrat. On ne travaille pas sans contrat, ce dernier devant mentionner de manière très précise et non équivoque :
- le périmètre fonctionnel de la prestation ;
- le tarif convenu ;
- l'échéancier de paiement ;
- les conditions (délai) de règlement.
Le contrat a souvent mauvaise presse, car il est généralement utilisé comme une arme et un moyen de pression plutôt que comme un outil de discussion et de collaboration. D'ailleurs, le manifeste agile professe « la collaboration avec les clients plutôt que la négociation contractuelle ». Mais si votre client potentiel rechigne, pinaille, reporte la signature, c'est un drapeau rouge écarlate qui devrait vous inciter à redoubler de prudence.
J'ai un article dédié aux contrats dans les tuyaux, nous y reviendrons donc.
J'ai l'habitude d'exiger un acompte avant le début d'une prestation quand il s'agit de clients que je ne connais pas, ce qui devient rare vu que la plupart de mes prestations démarrent dans le cadre d'un bouche à oreille.
Venons en au délai de paiement : une facture, ça se règle comptant. Il n'existe aucune règle morale ou éthique qui justifierait le fait qu'un prestataire ne soit payé qu'après un délai de plusieurs semaines à plusieurs mois après sa prestation accomplie. En pratique, évidemment, il faut bien stipuler un délai, et j'ai l'habitude de le fixer à deux semaine après la présentation de la facture. Si votre prospect réclame un délai plus long, c'est à lui de se justifier, pas à vous.
Dans tous les cas, si votre client insiste, n'hésitez pas à lui faire remarquer que les délais de paiement sont encadrés par la loi.
Mieux vaut facturer fréquemment. L'idéal étant de travailler en régie et de facturer à des périodes fixes, e.g des itérations de deux semaines. Attendre six mois et la complétion complète d'une prestation au forfait pour présenter sa facture, c'est se passer soi-même la corde au cou.
Mieux vaut également éviter de facturer de trop petites sommes. Une prestation de 130€, ça ne devrait pas exister, ça ne rembourse même pas le temps passé à rédiger la paperasse. Une telle somme ne vaut pas la peine d'engager des démarches en cas de non-paiement, certaines personnes peu scrupuleuses le savent parfaitement et n'hésiteront pas à en jouer.
Bref ! vous aurez compris que le meilleur moyen d'être payé, c'est de fixer des attentes raisonnables et d'échanger très clairement avec votre futur client sur les conditions de paiement.
Comment se faire payer
« Fuck you, pay me! » est l'adage des affranchis, repris par Mike Monteiro. En théorie, il n'y a pas à négocier : on vous doit de l'argent, et on va vous le payer.
En pratique, il est important de conserver de bonnes relations commerciales (en partant du principe que le client est honnête et de bonne foi) et de rester courtois.
Il faudra donc commencer par une remarque informelle, avant d'escalader via des communications de plus en plus officielles si le problème ne se résout pas de lui même.
Notez que dans tous les cas, il ne faut jamais se départir de sa courtoisie. Assigner un mauvais payeur au tribunal, oui ; l'insulter, jamais. Ce n'est pas digne d'une lady ou d'un gentleman, et ça se retournerait contre vous.
Voici les différentes étapes d'une relance de paiement :
- coup de fil informel ;
- mail informel ;
- mail plus formel ;
- demande de paiement par lettre recommandée avec AR ;
- mise en demeure.
Les modèles de mails et lettres sont abondants sur le Web, je vous laisse vous débrouiller pour les trouver.
Voyons maintenant quelques situations de « problèmes de paiement ».
Le client paie en retard
C'est le type de problème de paiement auquel je fais face le plus fréquemment.
Plusieurs situations peuvent se présenter.
Premier cas, le client paie une facture en retard de quelques jours. Tant que la situation reste ponctuelle, il n'y a pas grand chose à faire et mieux vaut laisser courir pour garder de bonnes relations commerciales.
Situation plus préoccupante, le client paie systématiquement en retard, plusieurs jours à plusieurs semaines, et nécessite un ou plusieurs rappels avant le paiement. Notez que même une situation aussi extrême peut survenir alors que le client est de bonne foi, mais désorganisé ou juste franchement tête en l'air (mais ça n'est pas votre problème).
Au bout de deux ou trois retards successifs, il devient pertinent de mentionner le problème. Mieux vaut d'abord le faire de manière informelle au téléphone, mais si vous êtes comme moi un flippé du mobile, voici un exemple de mail semi-formel :
Bonjour, bla bla bla…
J'attire votre attention sur le fait que les X dernières factures ont été réglées plusieurs jours après l'échéance de paiement, et seulement après relances de ma part.
N'hésitez pas à m'indiquer si la manière dont mes factures sont formulées ou présentées causent des difficultés de traitement de nature à provoquer ces délais.
J'attire votre attention sur le fait que ces retards pèsent sur ma trésorerie et occasionnent du temps de traitement de ma part. Dans la mesure ou j'apprécie notre collaboration et que je ne doute pas de votre bonne foi, je préfèrerai ne pas avoir à facturer d'intérêts de retard et que nous puissions discuter pour trouver une solution à ce problème.
Je me tiens à votre disposition pour en discuter, bla bla bla…
Si la situation perdure, dans la mesure ou je valorise une relation ouverte et honnête avec les gens avec qui je travaille, j'aurais tendance à dire qu'il vaut mieux mettre fin à la collaboration plutôt que de passer en mode « je vais te forcer à payer avec des intérêts de retard ». Mais chacun fait comme il veut.
Le client discute le prix avant la prestation
Je suis très mauvais négociateur. Par conséquent, la meilleur solution que j'ai trouvé pour ne pas me faire enfler est de ne tout simplement pas négocier mes tarifs.
Par expérience, plus un client paie, plus il vous respectera en tant que professionnel. Être ferme sur vos tarifs présente de multiples avantages :
- il est plus équitable de facturer le même tarif à tous vos clients puisqu'à priori, vous allez fournir des prestations de la même qualité ;
- vous apparaissez sûr·e de vous et professionnel·le ;
- vous serez mieux payé·e ;
- c'est moins embêtant.
Fait amusant : plusieurs clients ont déjà tenté de négocier mes tarifs à la hausse, ce qui me laisse perplexe chaque fois que j'y pense.
Si un client tente de négocier, il suffit de répondre « mes tarifs sont fixes », et basta. Vous n'avez pas à vous justifier.
Soyons franc, ça ne plaira pas à certains de vos prospects, mais c'est à vous de fixer vos tarifs, pas à eux. Libre à eux de travailler avec vous ou pas.
Le client discute le prix après la prestation
Nouvelle situation : après livraison de la prestation et présentation de la facture, le client discute le prix.
Bonjour Thibault,
Pour les raisons X et Y, bla bla bla…
Nous te proposons de faire un effort sur ta facturation et de nous faire une ristourne de 30%. Merci de nous tenir au courant.
Notez que cette dernière phrase est tirée mot à mot d'un mail que j'ai vraiment reçu.
Il peut malheureusement arriver que, malgré la meilleure volonté du monde, les attentes des uns et des autres n'aient pas été suffisamment bien comprises avant le début du projet, et que la relation ne fonctionne pas. Parfois, la mayonnaise ne prends pas, c'est comme ça (heureusement, c'est rarissime). Notez que dans ce cas là, un bon professionnel interrompra la solution très vite et proposera des solutions de remplacement à son futur ex-client.
La réponse à apporter à ce genre de demande est à étudier au cas par cas. Si vous avez le sentiment que vous n'avez pas donné le meilleur de vous même lors de cette prestation, il ne me parait pas absurde de faire un geste commercial. C'est néanmoins une situation extrême et, si tel est votre choix, l'initiative devrait venir de vous, pas d'une demande d'un client.
Mais si vous estimez que vous avez rempli votre part du contrat au mieux de vos possibilités, il n'y a aucune raison pour que vous ne soyez pas rémunéré·e aux conditions agréées.
Bonjour XXX,
Je suis sincèrement désolé que vous ne vous estimiez pas satisfait de notre collaboration, et je regrette que nous n'ayons pu éviter les écueils que nous avons rencontré.
Bla bla bla… Petit rappel factuel du déroulement de la prestation…
Par conséquent, j'estime m'être acquitté de mes obligations avec professionnalisme et ai travaillé au mieux dans l'intérêt de votre projet. Je vous demande donc de bien vouloir procéder au paiement intégral de la facture sous huitaine.
Cordialement bla bla bla…
En clair : « fuck you, pay me! ».
Le client demande un échéancier de paiement
On m'a déjà demandé de procéder à un paiement en plusieurs fois suite à un trou dans la trésorerie. En vérité, si votre client rencontre des difficultés financières, ce n'est pas votre problème ; en pratique, quand les caisses sont vides, elles sont vides.
Si tout le monde est de bonne foi, que vous avez suffisamment confiance en votre client et que votre trésorerie vous le permet, il me parait envisageable et de bon ton de convenir d'un échéancier de paiement, à condition de rester raisonnable. « je te paye 10% tout de suite, et le reste quand j'ai les sous » n'est pas une demande raisonnable.
Gardez à l'esprit que ce genre de « service » est une fleur que vous faites à votre client, et vous n'avez pas à vous sentir coupable ou à vous justifier si vous refusez . Vous avez vous aussi vos factures à payer.
Bonjour XXX,
Je suis désolé d'apprendre vos difficultés, et je comprends parfaitement ton point de vue.
Malheureusement, ma trésorerie actuelle ne me permets pas d'accéder à ta demande, aussi je suis obligé de te demander de t'acquitter de la facture dans les délais impartis.
Je ne doute pas que vous saurez trouver les ressources pour sortir de cette ornière bla bla bla…
Attention, autant un échéancier peut être une solution exceptionnellement acceptable, autant une ristourne ne l'est pas. Cf. section ci-dessus.
Le client interrompt la prestation et ne veut pas payer
Un client vous booke une semaine, puis décide d'arrêter la prestation au dernier moment, voire après un ou deux jours. Il refuse de payer, ou propose de ne payer que les deux jours réalisés.
Évidemment, impossible de trouver une mission du jour au lendemain. Sans compter que vous avez peut-être refusé d'autres contrats car vous étiez censé·e être en poste. Une belle perte sèche.
Là encore, la réponse à apporter dépend du contexte. S'il s'agit d'un client régulier avec qui j'entretiens de bonnes relations, que la situation est exceptionnelle et la demande motivée, on s'arrange. On n'est quand même pas des bêtes !
Par contre, avec les rigolos qui vous ont confondu avec une serpillère destinée à éponger leur manque d'organisation, pas de pitié ! « Fuck you, pay me! » sera votre étendard.
Idéalement, votre contrat devra stipuler un montant de facturation minimum, par exemple une semaine. Autre solution, proposer deux TJM : un tarif « classique » et un tarif « premium » pour les prestations inférieures à X jours. À vous de faire votre sauce, vous aurez compris l'idée.
Conclusion
Vous êtes freelance et rencontrez des problèmes de paiement ? Si ça peut vous rassurer, vous n'êtes pas seul·e. Je ne connais pas un·e seul·e indépendant·e expérimenté·e qui n'ait quelques anecdotes à ce sujet.
Que ce billet ne vous donne pas l'impression qu'il est impossible de se faire payer en étant freelance. Dans 99% des cas, je travaille avec des gens honnêtes, sincères et qui paient rubis sur l'ongle. Malgré tout, une mésentente est toujours possible et mieux vaut régler le problème avant qu'il ne prenne trop d'ampleur.
Il peut être terriblement anxiogène d'aller au conflit pour récupérer la rémunération qui vous est due ; mail il est malheureusement difficile d'y couper. Après tout, quand un seul coup de fil ou mail courtois mais ferme peut vous faire récupérer quelques milliers d'euros, on aurait tort de s'en priver.