Le dernier confiné
Dans ce petit village de Aulus-les-Bains, au fin fond de l'Ariège, vit le dernier confiné. Childéric Ozturkoglu, par un hasard statistique incroyable, est la dernière personne en France a n'être concerné par aucune des mesures d'allègement du confinement votées au cours des derniers mois. Reportage.
Dans sa petite maison sise au bord de la départementale, en bordure du village, Childéric Ozturkoglu est confiné ici depuis maintenant 18 mois. Ces dernières semaines, il est devenu un cas unique dans le pays : c'est la seule personne encore concernée par la loi sanitaire destinée à prévenir une quarante-deuxième vague de coronavirus en France. Une situation qui ne l'arrange pas particulièrement.
Cadrage sur Childéric Ozturkoglu, assis à table, les mains posées sur la toile cirée. En arrière-plan, un salon très « années 80 ».
« Au début, le confinement s'appliquait à tout le monde. Et puis le gouvernement à commencé à annoncer des exceptions. D'abord, on a laissé travailler les commerçants essentiels. On a laissé les gens consulter le médecin. Et puis, on a ré-ouvert les écoles. Puis les librairies. Puis les cinémas et les théâtres. Et c'est comme ça que petit à petit, tout le monde a repris son train-train. »
Tout le monde… sauf Childéric. Car par une anomalie statistique étonnante, ce jeune retraité n'est concerné par aucune des 2077 mesures d'allégement du confinement votées par le gouvernement depuis ces derniers mois.
Nouveau plan sur Childéric, qui empoigne un immense dossier de 300 pages.
« J'ai la liste ! Regardez ! Depuis le temps, vous pensez, je la connais par cœur… 2077 mesures ! C'est bien simple, tous les jours, une nouvelle exception, mais jamais pour moi ! Allez, dites un chiffre au hasard.
— Le journaliste, hors-champ. Heu… 483 ?
— 483, tenez : "Déplacement autorisé en vue d'amener une vache, un cochon ou tout autre animal de ferme à la saillie." Vous voyez une vache par ici ?
— Mais enfin, il y a bien une mesure qui pourrait s'appliquer à vous ?
— Rien, je vous dit ! 576 : déplacement pour motif religieux. Je suis athée ! 1771 : déplacement pour acheter de la visserie manquante dans des magasins d'ameublement suédois. J'ai fabriqué mes meubles moi-même ! 2042 : déplacement pour assister au festival de la châtaigne communal. Il a été annulé cette année quand le maire a été arrêté pour trafic de faux fromage importé d'Italie. »
Plan sur les petites rues ensoleillées du village. Scènes banales de la vie quotidienne. Nombreuses vaches en arrière-plan.
Dans la rue, depuis les allégements successifs du confinement, la vie semble avoir repris son cours. Les badauds vont et viennent en vaquant à leurs occupations quotidiennes, chacun tenant sous le bras son attestation pesant désormais plus de trois kilos.
Mais Childéric, lui, les regarde passer depuis sa fenêtre. Depuis qu'il est devenu le dernier confiné de France, sa célébrité l'amuse autant qu'elle l'embarrasse.
Plan serré sur Childéric. Son pullover arbore des petits canards aux couleurs automnales.
« Je reçois beaucoup d'appels de statisticiens. Apparemment, ils parlent de moi dans leur cours. Il y avait moins d'une chance sur 60 millions pour que ça arrive, et voilà ! c'est tombé sur moi ! Alors je suis invité à participer à des congrès, des séminaires… mais bon, je ne peux pas y aller, évidemment… »
Mais tout n'est pas rose dans la vie du dernier confiné. Quelques mètres plus loin, quatre camions de CRS sont garés et interdisent tout trafic dans le pâté de maison. Dans le village, les deux cafés et le restaurant de la ville sont remplis de policiers en uniforme. Quant aux hôtels de la région, ils ont tous été réquisitionnés.
Plusieurs plans sur les rues. D'innombrables policiers en uniforme. Visages floutés.
En tant que dernier confiné du pays, Childéric est devenu la seule et unique occupation de la brigade nationale du confinement, dont l'objectif est d'éviter à tout prix une nouvelle vague de Covid-19.
« 7500 flics, payés par les impôts des français, rien que pour m'empêcher de sortir ! Forcément ils sont sur les dents. La dernière fois que je suis sorti faire ma balade d'une heure, j'ai été contrôlé quarante-deux fois ! C'est bien simple, je n'arrive même plus jusqu'à la boîte-aux-lettres ! Et je peux vous dire que si je dépasse d'une seconde, ça tire à vue ! »
Pour passer le temps, Childéric écrit des lettres au président Philippe Poutou pour demander l'abrogation de la loi sanitaire d'exceptions. Sans succès pour le moment.
Fondu au noir.