Monsieur le directeur
Monsieur le directeur,
Je suis actuellement employé dans votre société, avec un contrat de 35h par semaine, ce qui me donne une charge de 7h par jour. Mes horaires officielles sont 9h00 - 12h00 / 14h - 18h00.
Mais :
Chaque matin, le manque de places de parking fait qu'il m'est difficile d'arriver à l'heure. Si bien que je ne mets que rarement les pieds au bureau avant 9h15. 15m * 5 = 1h15 de perdue.
La politesse m'impose de faire le tour des locaux pour saluer mes collègues, ce qui me prend bien un bon quart d'heure, étant donné votre politique de recrutement intensive. 15m * 5 = 1h15.
Vient ensuite la nécessaire pause café, essentielle pour démarrer la journée sur un bon pied et supporter la charge de travail que vous me confiez (15m par jour = encore 1h15).
Une fois mon poste allumé, il me faut lire mes mails et y répondre. D'autant que je reçois également de nombreux mails personnels, que je dois traiter dans la foulée, car je travaille trop pour pouvoir le faire sur mon temps libre (1/2h * 5 = 2h30).
Il me faut également me tenir au courant des dernières nouveautés technologiques, afin de rester à la pointe, ce qui dans notre métier est, vous en conviendrez, nécessaire. 1/2h à éplucher mon aggrégateur RSS * 5 = 2h30.
Au beau milieu de la matinée, au moment ou je suis le plus productif, je suis interrompu par la traditionnelle pause café, à laquelle je ne peux me soustraire, sous peine de froisser mes collègues (Encore 15m * 5 = 1h15).
Durant le reste de la matinée, je suis perpétuellement interrompu par des collègues, d'autant plus maintenant que vous avez réorganisé les locaux en open-spaces. Saviez vous qu'il faut cinq bonnes minutes après une interruption pour se reconcentrer ? Si je suis interrompu 20 fois dans la journée, cela nous donne une perte de 20 * 5 * 5 = 8h20.
À midi, il me faut partir manger un peu plus tôt, pour éviter la cohue de midi. Il est vrai que depuis les dernières réductions d'effectifs, le personnel manque à la cantine. Si je pars à 11h45, cela fait encore 1h15 de perdue.
L'après midi, j'avoue que j'ai beaucoup de mal à me concentrer pendant la demi-heure que prends ma digestion (1/2h * 5 = 2h30), d'autant que la cantine de l'entreprise n'est pas réputée pour la légereté de ses plats. Enfin, les choses s'arrangent grâce à la pause café (15m * 5 = 1h15).
Vos collaborateurs sont des farceurs, Monsieur le directeur, et je perds bien une demi-heure par jour à faire le tri parmi les bêtises qu'ils envoient à tous-bouts de champs sur la mailing-liste interne. Bien entendu, je passerai pour un sinistre rabat-joie si je ne participais pas à la bonne humeur ambiante en envoyant moi même quelques diaporama cocasses. (1/2h * 5 = 2h30)
Nous vivons dans un monde en plein changement, Monsieur le directeur, et l'après-midi, les technologies du matin sont déjà obsolètes, aussi suis-je forcé de passer encore une autre demi-heure à éplucher mon aggrégateur (2h30).
Puis viens la pause de l'après-midi, nécessaire pour tenir la charge, car la cadence est rude, Monsieur le directeur. Une demi-heure n'est pas de trop pour s'aérer le cerveau et repartir sur de bonnes bases (2h30).
La fin d'après-midi est une période de travail intensive. Malheureusement, la plupart des clients ne répondent plus au téléphone passé 17h30. De toutes façons, il faut bien nettoyer son poste de travail et sa tasse, et mettre de l'ordre dans ses papiers. Cette demi-heure ne parait pas productive, mais elle est essentielle sur le long terme (2h30).
J'ai des journées bien remplies, Monsieur le directeur. Et comme je pratique une activité physique, je dois partir un peu plus tôt le mardi (1h) et le jeudi (1h) pour ne pas être en retard à l'entraînement. Cela me parait essentiel pour tenir sur le long terme.
Heureusement qu'on peut se détendre un peu le vendredi, en arrivant un peu plus tard (1/2h) et en partant un peu plus tôt (1/2h), juste après la rédaction du compte-rendus hebdomadaire (1/2h), nécessaire au bon déroulement de la réunion de lancement du lundi matin (1/2h).
Si l'on calcule bien, Monsieur le directeur, on s'aperçoit que la somme de tous ces moments directement non productifs, mais pourtant essentiels, s'élève à 34h50. Ce qui ne me laisse, Monsieur le directeur, que dix minutes par semaine pour effectuer mon travail.
À la lumière de ces éclaircissements, Monsieur le directeur, vous constaterez sans ambages que je suis sans aucun doute votre employé le plus productif et le plus efficace, car qui pourrait se targuer d'effectuer une telle somme de travail en seulement dix minutes ? C'est pour cette raison, Monsieur le directeur, que j'ai l'honneur de solliciter une augmentation.
Assuré de la considération bienveillante que vous porterez à cette lettre, je vous prie d'aggréer mes sentiments les plus distingués.